Être père aujourd'hui

Qu'est-ce que c'est, être père au Québec en 2024 ? Pour tenter de répondre à la question, je me suis entretenue avec trois papas issus de situations familiales extrêmement différentes. Il en ressort que si la paternité se vit aujourd'hui dans une pluralité de contextes, notamment au sein de familles séparées, recomposées ou homoparentales, les expériences, elles, se recoupent. Oublions tout de suite l'image traditionnelle qu'on a pu avoir du père pourvoyeur peu présent pour ses enfants. Les études le démontrent : depuis les dernières décennies, les pères sont de plus en plus impliqués dans la vie familiale, à tous niveaux. Le partage des tâches entre parents est de moins en moins genré et à ce titre, même le congé parental du Régime québécois d'assurance parentale trouve de plus en plus preneur chez les pères. Cela illustre parfaitement l'engagement des pères modernes, dont ceux qui ont accepté de partager avec moi leur expérience de la paternité avec tout ce qu'elle comporte de défis, de beauté et de grandes fiertés. Papas présents Dès la naissance des enfants, les pères québécois répondent de plus en plus présent. En 2021, ces derniers ont pris en moyenne 10 semaines de prestations du RQAP, ce qui représentait un sommet pour le programme ! Cela dit, certains pères prennent carrément l'entièreté du congé parental, ce qui a été le cas de Jean-François, 42 ans, aujourd'hui père de quatre garçons et beau-père de deux autres. Il a pris l'entièreté du congé parental en 2005 après la naissance de son deuxième enfant et il affirme que ça a été pour lui d'une richesse inouïe, lui permettant de ne rien rater des « premières fois » de son fils. « Tu ne perds aucun moment ! s'exclame-t-il. Les premiers pas, les premiers mots... Des choses qu'on peut facilement rater quand l'enfant est à la garderie. » Martin a lui aussi vécu cette expérience en 2020 avec sa fille adoptive, qu'il a accueillie chez lui via la banque mixte de la DPJ alors qu'elle était âgée de neuf mois. Les deux premiers mois, son conjoint et lui ont été tous les deux à la maison, puis Martin est resté seul à temps plein avec la fillette durant dix autres mois. Il se souvient avoir été complètement gaga devant ce bébé qui babillait, s'initiait à la nourriture solide et parvenait à s'asseoir. Des moments aussi privilégiés qu'exigeants. Vers la fin de l'année, ayant très peu de contacts avec des adultes, il s'est senti socialement isolé, comme c'est souvent le cas pour les parents en congé parental. Les ressources et les activités offertes au Carrefour familial de son quartier lui ont été salutaires. « Ça m'a vraiment sauvé et ça a développé un réseautage dans mon quartier, confie-t-il. J'ai rencontré d'autres parents qui avaient des enfants du même âge. Ça m'a permis d'échanger avec des gens qui comprenaient ce que je vivais ». Les défis S'investir autant auprès de ses enfants n'est pas sans comporter plusieurs défis. Si l'adaptation est constante pour un parent d'enfant en bas âge, la période de l'adolescence semble aussi délicate à vivre pour les pères, comme en témoigne Stéphane, qui est séparé de son ancienne conjointe depuis quatre ans et qui a la garde partagée de son garçon de 13 ans. « Ce que je trouve dur, c'est de maintenir une forme d'autorité tout en voyant qu'il a besoin qu'on le traite un peu plus comme un adulte, dit-il au sujet de son fils. C'est une période de transition : on se redéfinit tous les deux en ce moment. » Si Stéphane trouve ardu d'assumer son rôle d'autorité, il est loin d'être le seul. Selon l'Institut de la statistique du Québec, 20% des parents québécois trouvent difficile de gérer l'encadrement et la discipline. Cela dit, Stéphane n'en est pas moins catégorique : pour lui, « aimer, c'est encadrer ». Au rayon des difficultés parentales, la fatigue est aussi mentionnée, faisant écho aux données selon lesquelles 35% des parents québécois sont épuisés lorsqu'arrive l’heure du souper. Jean-François, qui a eu ses deux premiers enfants dans la jeune vingtaine et les deux derniers dans la quarantaine, observe par ailleurs que son énergie n'est plus la même. « Avec mes deux premiers, en revenant de travailler, je pouvais jouer une game de soccer. Là, je vais prendre un livre Cherche et trouve. (…) Et souvent, quand je vais endormir le petit, je m'endors avec. » Au-delà de la fatigue, en quoi la paternité les a-t-elle changés, ces hommes impliqués ? Pour Martin, puisque sa fille est devenue sa priorité, cela l'a notamment obligé à mettre davantage ses limites au travail. Jean-François affirme que le fait de devenir père l'a assagi, lui a donné un équilibre et le sentiment d'être utile. Stéphane observe quant à lui que la paternité l'a rendu plus lucide et a changé son regard sur lui-même. « L'enfant est un miroir, à plein d'égards. Tes actions, ce que tu es, ça finit par avoir un impact sur lui. Ça me fait beaucoup réfléchir. Surtout ce que je transmets de façon involontaire. » Legs et fierté La transmission est sans contredit au cœur des préoccupations des trois pères rencontrés. Léguer ses valeurs, ses passions. Transmettre le meilleur de soi à son enfant et assister à ce qu'il devient, voilà ce qui les rend fiers. Martin est complètement fasciné par sa fille qui grandit. « C'est une enfant heureuse, dynamique, curieuse, qui pose des questions... Ça ne vient pas du voisin ! affirme-t-il avec émotion. Ça vient de nous. Notre façon de vouloir léguer porte fruit. On plante des graines et plus elle grandit, plus elle fleurit. C'est ça, la plus grande fierté. » Ces papas ne sont pas seulement fiers, ils sont aimants et aimés, et cet amour inconditionnel enrichit leur quotidien. La paternité, malgré les défis, est pour eux une source de grand bonheur, jusque dans les plus petites choses. « Quand ils me voient, dit Jean-François au sujet de ses enfants, ils viennent me sauter dans les bras. Juste ce moment-là, rien ne vaut ça. » À en croire ces échanges, les papas de 2024 sont donc présents et investis. Passionnés par leur rôle. Et je dirais même touchants. https://statistique.quebec.ca/fr/produit/publication/portrait-parents-et-experience-parentale https://statistique.quebec.ca/fr/document/etre-parent-au-quebec-2022/publication/portrait-parents-et-experience-parentale

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Être père aujourd'hui

21 June, 2024 • Par Véronique Daudelin